Venise

(Suite)

 

Passé quarante-huit heures à Chioggia, île antique et délicieuse de laquelle on rayonne en barque vers mille îlots des plus curieux.

Entièrement ruiné par une excessive diffusion de petits sous distri­bués à tous les bambini et à toutes les piccole des pêcheurs de l’Adriatique.

Rentré à Venise par un coucher de soleil à rendre fou d’attendris­sement le plus barbare.

Oh ! ces voiles orange ! Je commence à m’expliquer comment le père Ziem[25] a vu ce pays.

 

Petite scène de la vie de touriste.

Ils sont trois, attablés dans une salle du café Florian : le père, la mère et un grand dadais d’une quinzaine d’années.

Ils font leur correspondance.

Le père écrit et dicte en même temps, les deux autres transcrivent docilement.

Le fils écrit à mon cher bon papa et la mère à chère rnadame et amie, le monsieur à je ne sais qui.

C’est le même texte qui sert pour ces trois différents destinataires.

Ne se fiant pas à ses seuls souvenirs, l’homme s’aide entre-temps d’un petit guide idiot qui s’appelle : Une semaine à Venise.

À un moment, il dicte :

Hier, nous avons été voir les vieilles procuraties.

La dame lève la tête vivement :

– Les vieilles... quoi ?

– Les vieilles procuraties.

– Qu’est-ce que c’est que ces horreurs-là ?

L’homme lui lit le passage du guide où il est expliqué que les vieil­les procuraties sont les anciennes demeures des procurateurs.

Mais la dame ne veut rien savoir.

– Jamais je n’écrirai ça !

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas, mais vieilles procuraties, ça sonne si mal ce mot-là !

Va donc, eh ! vieille procuratie !

 

On a occasion de rencontrer en voyage des types bien extraordi­naires.

Il y avait ces jours-ci, au Grand-Hôtel, un monsieur et une dame d’un certain âge et d’une évidente respectabilité.

Ces deux bonnes gens voyagent avec deux draps de lit, leurs taies d’oreiller, leurs serviettes de toilette et de table.

Ils ne se nourrissent que d’œufs à la coque et de viande grillée. Et encore, le morceau de viande, ils ne le mangent qu’après avoir rejeté les parties extérieures qui auraient pu être souillées par un contact.

En se mettant à table, ils essuient assiettes, verres, couverts, etc., avec des feuilles d’un papier japonais préalablement aseptisé, et qui ne les quine jamais.

Et il faut les voir frotter tout leur petit matériel !

Et avec cela, un mutisme rigoureux, continu, farouche.

Ce monsieur et cette dame mangent sans desserrer les dents ! (C’est une manière de dire, bien entendu.)

Je comprends à la rigueur l’exagération de ces précautions hygié­niques, mais pourquoi ce silence absolu ?

Donnay m’offre cette explication, assez ingénieuse, ma foi :

– Ces gens-là ne parlent pas parce qu’il leur dégoûte d’employer des mots qui ont servi à d’autres sans pouvoir les essuyer avec un petit morceau de papier.

Il y a tout de même des gens bizarres dans la vie !

 

 

Venise

(Suite et fin)

 

Le soir, avant dîner, des fois, nous allons au Lido.

Non pas que ce soit joli, joli, car ce serait plutôt décevant et con­tradictoire avec la vieille idée romanesque qu’on s’en fait volontiers ; mais la mer y est fort belle et le casino joyeux.

Et puis, on y voit des chevaux !

Cinq chevaux : quatre au service du petit train qui traverse l’île et sa largeur, de la largeur de l’Adriatique.

Le cinquième, évidemment sorti des écuries de l’Apocalypse, s’adonne à la remorque d’un stupéfiant véhicule, curieux spécimen de la carrosserie du XVIIe siècle.

Les bébés vénitiens contemplent ces coursiers de l’air ahuri que prennent les tout petits de France à la première vue d’un ornithorynque.

Ce Lido s’émaille de mille guinguettes fertiles en prospectus bizarres.

L’une, entre autres, au Lion de saint Marc, arbore ces lignes dont je respecte l’orthographe :

 

Fou récomandable à M. les Étrangers e Citoyens.

Toute sorte de crustacés.

Bierre de Vienne.

Vins relatifs.

 

Vins relatifs !

Nous ne sommes pas entrés.

 

Fait connaissance avec deux jeunes Anglais qui reviennent de Grèce, où ils ont servi dans la légion philhellène[26].

Tous les deux ont sérieusement écopé, l’un à la jambe, l’autre à la tête et au bras.

Leur philhellénisme semble avoir subi une notable dépression, et ils parlent, si la guerre continue quand ils seront guéris, de reprendre du service.

Mais, cette fais, du côté des Turcs.

Quelques garibaldiens, de retour en Italie, tiennent le même langage.

Le peuple-martyr ne gagne pas, paraît-il, à être vu de près.

Le bruit, faux heureusement, a couru de la mort d’Amilcare Cipriani[27].

Je me réjouis que ce brave ami ne soit que blessé.

Ce soir, le mardi gras, je me souviens qu’il partit pour Marseille, je filais sur Gênes. Nous dinâmes ensemble au buffet de la gare, et ce repas fut égayé par mille lazzi du docteur Pelet qui avait tenu à faire enregistrer mes bagages lui-même.

 

Une bien jolie phrase cueillie dans le Baedeker :

Quand la gondole aborde, on voit s’approcher un offrcieux avec une gaffe au moyen de laquelle il facilite le débarquement. On ne lui doit rien, ruais il est déjà content avec deux ou trois centimes. (Sic.)

La Gaffe de l’officieux ! un joli titre pour un petit acte. Le faisons-nous ?

 

Touristes.

Nous côtoyons fréquemment, dans les églises et les musées, une copieuse famille composée, par moitiés à peu près égales, de gens de Paris et d’habitants de Chartres.

Ces amateurs mettent à leurs visites une conscience étonnamment scrupuleuse.

Quand ils s’aperçoivent qu’ils ont oublié un tabernacle ou une Des­cente de croix, ils retraversent le monument entier.

Un Titien les fit pâmer.

Par contre, Tiepolo ne sut point conquérir leurs suffrages.

– En voilà un, disent-ils, qui ne s’est pas ruiné en couleurs !

Une courte conversation, hier soir, à l’hôtel, nous révéla que dans cette artistique famille les Parisiens n’avaient jamais fichu les pieds au Louvre et que ceux de Chartres ne se souvenaient pas d’avoir jeté sur leur cathédrale un regard de plus de trois secondes.

 

Appréciation d’une dame de Rouen :

– Venise, en somme, c’est Pont-Audemer en plus grand.

Le plus comique, c’est qu’il y a un peu de ça.

........................................

 

Et maintenant, adieu les gondoles, au revoir plutôt, car on revien­dra, ô Venise enchanteresse, si belle qu’on oublie les Anglais mal éle­vés, les Allemands grossiers et les Français idiots qui l’obstruent !

Faits divers
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